En juin 1392, Olivier de Clisson, connétable de France et proche conseiller du roi de France Charles VI, est victime d’une tentative d’assassinat orchestrée par Pierre de Craon qui trouve refuge en Bretagne sous la protection du duc Jean IV. Soucieux d’affirmer son autorité sur les grands seigneurs féodaux, le roi de France décide de partir en campagne contre le duc de Bretagne, mais, alors que son armée se trouve à l’orée de la forêt du Mans, Charles VI subit une crise de folie soudaine et violente. Le roi se retourne contre ses propres soldats, tuant plusieurs d’entre eux, avant d’être maîtrisé. Cet épisode marque le début de ses troubles mentaux qui vont affaiblir l’autorité royale et permettre la montée en puissance de deux grandes factions rivales qui vont entraîner le Royaume dans une terrible guerre civile.
Les prémices du conflit
Alors que Charles VI a sombré dans la folie, un conseil de régence, présidé par la reine Isabeau de Bavière, est mis en place pour gouverner la France. Le Conseil réunit les grands seigneurs du Royaume, dont notamment Louis d’Orléans (frère cadet du roi) et Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Le caractère intermittent de la folie du roi empêche la mise en place d’une régence stable alors que la rivalité entre les ducs d’Orléans et de Bourgogne devient de plus en plus forte. Il faut dire que les sujets de désaccords entre ces deux ambitieux seigneurs ne manquent pas.
La principale cause de friction est d’abord politique. En effet, la puissance du duché de Bourgogne et son statut d’oncle du roi permettent à Philippe le Hardi de devenir très influent au gouvernement. D’un autre côté, Louis d’Orléans, frère cadet du roi, dispute à son rival la première place. Il va notamment acquérir le duché de Luxembourg pour empêcher la jonction entre la Bourgogne et la Flandre (qui appartient également à Philippe le Hardi). D’un autre côté, les relations avec l’Angleterre sont également sources de frictions alors que les anglais occupent toujours une partie du pays. Philippe le Hardi est favorable à la trêve avec l’Angleterre afin de ménager les intérêts commerciaux de ses sujets flamands. De son côté, Louis d’Orléans, se fait le champion de la reprise de la lutte contre l’ennemi anglais pour les chasser définitivement du territoire.
Cependant, un autre élément va faire monter les tensions. En effet, Louis d’Orléans, dont la gestion des finances royales est critiquée, va augmenter le niveau de taxation et profitera même d’une absence du roi en 1401 pour installer ses propres hommes afin de collecter les revenus royaux. Le duc de Bourgogne est furieux et menace d’entrer dans Paris avec ses soldats mais la reine parvient à apaiser les tensions entre les deux seigneurs. En 1404, Philippe le Hardi meurt et son fils, Jean sans Peur, lui succède, mais malgré l’image positive dont le nouveau duc jouit auprès de la population, son influence au Conseil de régence est bien moindre que celle de son père. Ainsi, en 1405, il s’oppose à la création d’un nouvel impôt, mais ce dernier est approuvé le 5 mars. En réaction, le duc de Bourgogne rentre dans Paris à la tête de ses troupes, provoquant la fuite de la reine et de Louis d’Orléans en direction de Melun. La guerre civile est évitée de justesse mais une nouvelle ordonnance va bientôt mettre le feu aux poudres.
Le duc de Bourgogne prend l’avantage
Le 28 avril 1407, la composition du Conseil est modifiée par une nouvelle ordonnance et le nombre de représentants bourguignons passe de vingt-six à seulement deux. C’en est trop pour le duc de Bourgogne qui, voyant le pouvoir lui échapper, décide de faire éliminer son rival. Le 23 novembre 1407, alors qu’il rend visite à la reine qui vient d’accoucher, un messager annonce au duc d’Orléans que le roi souhaite le voir de toute urgence à l’hôtel Saint-Pol où il réside. Protégé par une faible escorte, le duc remonte la rue Vieille-du-Temple quand soudain, une quinzaine d’hommes se jettent sur la petite troupe. Louis d’Orléans, surpris, est tué d’un coup de hache à la tête et expire au côté fidèle valet flamand Jacob.
La nouvelle de la mort du frère du roi se répand comme une traînée de poudre et la responsabilité du duc de Bourgogne est rapidement établie. D’ailleurs, sa popularité à Paris est telle qu’il ne s’en cache pas. Ainsi, le 25 novembre, durant une réunion du Conseil, il avoue aux ducs de Berry et d’Anjou avoir commandité l’assassinat de Louis d’Orléans. Par prudence, il quitte malgré tout Paris et est exclu du conseil de régence. Cependant, le duc de Bourgogne persiste et fait justifier son crime par le théologien Jean Petit lors d’une réunion qui se tient le 8 mars 1408 à l’Hôtel de Saint Pol en présence de représentants de la noblesse, de l’Université de Paris et de la bourgeoisie. Le lendemain, Jean sans Peur obtient du roi des lettres de pardon pour un crime dont il s’est pourtant reconnu coupable.
En septembre de la même année, le clan des Orléans profite de l’absence du duc de Bourgogne qui se trouve en Flandre pour y mater une révolte. Le Conseil du roi, présidé par la reine Isabeau de Bavière, reçoit Valentine Visconti, la veuve de Louis d’Orléans, et annule le pardon accordé à Jean sans Peur. Ce dernier est sommé de rentrer à Paris pour se justifier de son crime mais la mort de Valentine Visconti entraîne la fin de l’action en justice intentée contre le duc de Bourgogne. Le 9 mars 1409, Charles VI pardonne une nouvelle fois à Jean sans Peur et les bourguignons ne tardent pas à occuper la capitale où ils installent un véritable régime de terreur. De son côté, Jean sans Peur en profite pour passer un accord avec la reine afin de gouverner le pays. Les membres pro Orléans du Conseil sont évincés alors que le duc de Bourgogne profite des rares moments de lucidité du roi pour influer sur la politique du Royaume.
Gloire et déboires des armagnacs
Néanmoins, cette toute-puissance du duc de Bourgogne inquiète les autres princes du Royaume. Le 15 avril 1410, à l’occasion des noces de Charles d’Orléans (fils du duc assassiné), une ligue se forme à Gien contre le duc de Bourgogne. Parmi les membres de cette nouvelle faction, on compte notamment les ducs de Berry, de Bourbon et de Bretagne, ainsi que les comtes d’Alençon et de Clermont. C’est le beau-père de Charles d’Orléans, Bernard VII d’Armagnac qui prend la tête de ce groupe qui jure de venger Louis d’Orléans. Une paix est pourtant signée le 2 novembre et signe le retour des armagnacs au gouvernement. Cette trêve ne dure pas et au printemps 1411, les hostilités reprennent de plus belle. En octobre, des troupes armagnacs se rapprochent des environs de Paris et Jean sans Peur réagit vigoureusement en envoyant une puissante armée vers la capitale, obligeant les armagnacs à se replier vers la vallée de la Loire.
Durant l’année 1412, les deux camps tentent d’arracher une alliance avec Henry V d’Angleterre et les armagnacs parviennent même à signer le traité de Brétigny avec le roi anglais mais Jean sans Peur continue de le ménager afin de ne pas mettre en difficulté ses marchands flamands. En 1413, une émeute soutenue par le duc de Bourgogne éclate à Paris et les massacres se multiplient. Cet épisode connu sous le nom de Révolte des Cabochiens, a pour origine un ras-le-bol fiscal, mais les exactions des émeutiers sont telles que le 28 juillet, le dauphin* appelle les armagnacs au secours. Ces derniers rétablissent l’ordre dans la capitale, permettant ainsi le retour des princes armagnacs à Paris et entraînent la fuite de Jean sans Peur.
Sur la défensive, le duc de Bourgogne n’intervient pas en 1415 alors qu’Henry V écrase l’armée française à Azincourt. C’est également un désastre pour les armagnacs qui perdent deux de leurs principaux chefs, Charles d’Orléans et le duc de Bourbon étant faits prisonniers. Seule consolation, Bernard d’Armagnac est nommé connétable le 30 décembre mais le nouveau maître de Paris est si brutal que certains parisiens regrettent la domination bourguignonne. Pendant ce temps, Jean sans Peur se rapproche d’Henry V et signe un pacte avec l’Angleterre le 6 octobre 1416.
* Titre attribué à sa naissance au fils aîné du roi de France
Charles VII manoeuvre efficacement
En 1417, suite à la mort de ses deux frères aînés, Charles devient le nouveau dauphin à l’âge de 14 ans et écarte la reine, sa mère, jugée trop proche de Jean sans Peur. Un nouveau traité est signé entre armagnacs et bourguignons en mai 1418, mais quelques jours plus tard, des incidents éclatent à Paris entre les deux factions. Les bourguignons prennent le dessus et Bernard d’Armagnac est fait prisonnier puis assassiné dans sa cellule. Deux mois plus tard, Jean sans Peur rentre dans Paris au côté de la reine. Cela n’empêche pas le dauphin Charles, qui dirige désormais le camp des armagnacs, de se proclamer régent du Royaume.
En 1419, la situation évolue de nouveau. En effet, Jean sans Peur s’inquiète des prétentions anglaises, Henry V s’étend emparé de Rouen et de la Normandie. Le duc de Bourgogne se rapproche alors du dauphin, mais le 10 septembre, alors que les deux hommes doivent se rencontrer pour trouver un accord, Jean sans Peur est assassiné au pont de Montereau. Cette assassinat anéantit tout espoir de paix entre la France et la Bourgogne et le 2 décembre, le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, reconnaît la souveraineté anglaise sur la France. Profitant de la folie du roi de France, Henry V le contraint à le reconnaître comme son successeur et épouse sa fille. Ainsi, lorsqu’Henry V meurt le 21 août 1422, son fils, Henry VI devient roi de France et d’Angleterre. De son côté, le dauphin, réfugié à Bourges, refuse les termes de ce nouveau traité et se proclame roi le 30 octobre 1422 sous le nom de Charles VII.
Grâce au soutien du duc de Bretagne, Charles VII parvient à remporter quelques succès, mais la situation du roi de France reste compliquée face à des anglo-bourguignons qui contrôlent une bonne partie du Royaume, y compris Paris. Toutefois, l’arrivée de Jeanne d’Arc en 1429 va marquer un tournant dans le conflit, puisqu’au-delà des succès militaires, elle permet à Charles VII de se faire officiellement sacré roi de France à Reims le 17 juillet 1429. Sa capture par les bourguignons puis son exécution par les anglais en 1431 n’empêche pas le rapprochement entre le Charles VII et Philippe le Bon. En effet, le roi de France est conscient que la paix avec la Bourgogne est nécessaire pour en finir avec l’Angleterre alors que de son côté, Philippe le Bon, dont les relations se sont tendues avec les anglais, souhaite se consacrer au développement de ses états. Les discussions entre les deux camps aboutiront au traité d’Arras en 1435. Par cet accord, Charles VII fait amende honorable pour le meurtre de Jean sans Peur et cède plusieurs et territoires au duc de Bourgogne qui, s’il reste vassal du roi de France, est dispensé personnellement de lui rendre hommage. En échange, le duc reconnaît la légitimité de Charles VII comme roi de France, mettant ainsi fin à la rivalité entre armagnacs et bourguignons. Privés de leur allié, les anglais finiront par perdre la guerre en 1453 alors que leur roi, Henry VI, sombre à son tour dans la folie entraînant cette fois l’Angleterre dans une guerre civile : la guerre des Deux-Roses.
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