Lorsque Louis XIV meurt en 1715 après un règne de 72 ans, il laisse derrière lui une monarchie française centralisée et un royaume puissamment étendu, mais aussi lourdement endetté et épuisé par des guerres incessantes. Son arrière-petit-fils, le futur Louis XV, n’a que cinq ans. C’est donc à son neveu, Philippe d’Orléans, que revient la tâche délicate de régner en tant que régent jusqu’à la majorité du jeune roi. Retour sur cette période de transition courte mais marquée par de nombreux défis et dont l’héritage marquera durablement la France du XVIIIème siècle.
L’ère de la Régence : une rupture sur le fond et sur la forme
À la mort de Louis XIV, la France est dans une situation complexe. Sur le plan international, le royaume est respecté, mais sa puissance militaire a atteint ses limites, épuisée par les longues guerres, notamment la guerre de Succession d’Espagne. Les finances royales sont exsangues, avec une dette colossale qui met en péril l’économie du pays. Le Roi-Soleil a certes affermi le pouvoir royal par une centralisation sans précédent, mais il a aussi laissé un appareil bureaucratique lourd et rigide, incapable de répondre efficacement aux nouvelles attentes économiques et sociales du royaume.
Le rôle d’un régent, surtout dans un royaume aussi puissant que la France de l’époque, est d’assurer la continuité du pouvoir monarchique tout en préparant le jeune roi à gouverner à sa majorité. Cependant, le Régent ne se contente pas de conserver les acquis : il peut initier des réformes en fonction des circonstances et des opportunités. Philippe d’Orléans, investi de cette mission, n’a pas hésité à bousculer l’héritage de son oncle.
Cela commence au départ par la modification du testament de Louis XIV. En effet, ce dernier n’appréciait guère son neveu et avait donc limité ses pouvoirs de régent. Philippe d’Orléans va donc faire casser le testament du Roi-Soleil par le Parlement de Paris. En échange, le régent va rendre au Parlement son droit de remontrances* qui avait été supprimé par Louis XIV. Une décision qui ne sera pas sans conséquences lors des années qui suivront. D’une manière plus symbolique, le régent décide également d’abandonner Versailles et son pesant cérémonial pour revenir à Paris au Palais-Royal, alors que le futur roi est élevé dans l’austère château de Vincennes puis au Louvres.
* droit de contester les lois émises par le roi avant leur enregistrement
Un Régent aux multiples visages
Philippe d’Orléans, né en 1674, est un personnage contrasté. Polyvalent, intelligent, et ouvert d’esprit, il est à la fois grand amateur des sciences et des arts, tout en étant célèbre pour ses mœurs jugées parfois libertines. Sa réputation sulfureuse – des accusations de débauche et d’athéisme lui collent à la peau – ne doit cependant pas masquer ses talents politiques et diplomatiques.
Philosophiquement, Philippe d’Orléans est marqué par une vision moins dogmatique du pouvoir que celle de son oncle. Là où Louis XIV gouvernait dans une solitude quasi absolue, se méfiant des conseils extérieurs, le Régent est plus ouvert au dialogue et à la délégation de certaines responsabilités. Cette différence de style annonce une tentative d’assouplissement de la monarchie absolue.
Un réformateur inattendu
Dès les débuts de la Régence, Philippe d’Orléans entreprend plusieurs réformes qui vont marquer la France dans les années suivantes.
Le Système de la Polysynodie
L’une des premières initiatives de Philippe d’Orléans est la mise en place de la Polysynodie, un système qui remplace le conseil étroit du roi par plusieurs conseils de gouvernement composés de membres de la haute noblesse. Cette tentative de décentralisation du pouvoir visait à inclure davantage l’aristocratie dans la gestion des affaires du royaume, après des décennies de mise à l’écart sous Louis XIV. Cependant, cette réforme échoue rapidement, en partie à cause de l’inefficacité des conseils, dominés par des querelles internes et leur incapacité à prendre des décisions rapides et efficaces. La Polysynodie est finalement abandonnée en 1718, mais cette expérience montre l’intérêt du Régent pour un pouvoir moins centralisé.
Les Réformes Financières de John Law
Le problème principal de la France à cette époque est sa dette massive. Pour y remédier, Philippe d’Orléans donne une grande marge de manœuvre à l’économiste écossais John Law, qui met en place une série de réformes économiques audacieuses. Law instaure notamment une banque d’État, la Banque Générale, et promeut l’usage du papier-monnaie pour stimuler l’économie. Son système, basé sur la spéculation et l’expansion rapide de la Compagnie du Mississippi, suscite d’abord un certain enthousiasme. Cependant, la « bulle Law » explose en 1720, ruinant de nombreux investisseurs et provoquant une crise financière majeure.
Malgré cet échec, certaines des idées de Law, notamment le recours à la monnaie fiduciaire, laissent une trace durable dans les pratiques financières de l’époque moderne. Le besoin d’une réforme profonde des finances publiques devient évident, un thème qui reviendra sans cesse durant les règnes suivants, jusqu’à la Révolution française.
Une Politique Extérieure de Paix
Sur le plan diplomatique, Philippe d’Orléans met un terme à la politique guerrière de Louis XIV. Sous la Régence, la France conclut la Triple Alliance avec la Grande-Bretagne et les Provinces-Unies en 1717, marquant un basculement vers une diplomatie de paix afin de se concentrer sur le redressement économique du pays. L’empereur germanique Charles VI se joint à l’accord qui devient alors la Quadruple Alliance en 1718. Les nouveaux alliés entrent en guerre contre l’Espagne de l’ambitieux Philippe V qui sera défait. Le roi d’Espagne doit alors abandonner toute prétention en Italie, mais est enfin reconnu comme roi d’Espagne par Charles VI. Dans la foulée, le régent signe le traité de Madrid avec l’Espagne en 1721 afin d’entériner la réconciliation entre les deux royaumes. Globalement, cette approche conciliante du régent redore temporairement le blason français sur la scène européenne.
Louis XV et Philippe d’Orléans : une relation complexe
Durant la Régence, Philippe d’Orléans veille sur l’éducation de Louis XV, mais leur relation reste quelque peu distante. Ainsi, le jeune roi, malgré l’amour du peuple, est encore un enfant et n’a que peu de pouvoir décisionnel. De son côté, Philippe d’Orléans se présente comme une figure protectrice, mais sa réputation d’homme de plaisirs et ses réformes controversées ont terni son image auprès des conservateurs de la cour. Finalement, suite au sacre de Louis XV le 25 octobre 1722, Philippe d’Orléans lui remet le pouvoir et devient brièvement son principal ministre avant de mourir quelques mois plus tard le 2 décembre 1723. Le duc de Bourbon puis le cardinal de Fleury lui succèderont avant que Louis XV décide de gouverner seul à partir de 1743.
Au global, la Régence a laissé une empreinte ambiguë dans l’histoire de France. D’un côté, les réformes entreprises sous Philippe d’Orléans, bien que parfois mal reçues ou inabouties, ont révélé une volonté d’adaptation aux défis modernes. La tentative de modernisation financière, même si elle a échoué, a démontré la nécessité de sortir des méthodes archaïques de gestion de la dette publique.
D’un autre côté, le retour de l’aristocratie au pouvoir avec la Polysynodie, ainsi que la frivolité perçue de la cour sous la Régence, ont renforcé l’image d’une monarchie en déclin moral et politique. Philippe d’Orléans, personnage complexe, tiraillé entre une grande intelligence politique et des faiblesses personnelles, aura su maintenir l’unité du royaume tout en posant les bases d’un assouplissement d’un régime en pleine évolution, ce qui, à terme, mènera à la Révolution française.
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