La guerre des farines : prélude à la Révolution française

guerre des farines

En France, le pain c’est sacré. Alors lorsque le prix des grains commence à augmenter et que la pénurie s’installe, la colère gronde. Cette situation qui va se produire quelques années avant la Révolution porte un nom : la guerre des farines. Moins célèbre que les évènements de 1789, cet évènement aura pourtant d’importantes répercussions politiques et sera annonciateur de lendemains difficiles pour une monarchie déjà bien affaiblie.

Turgot où la tentative d’une révolution par le haut

Lorsque Louis XVI monte sur le trône de France, le jeune souverain n’a que vingt ans et manque d’expérience. Il faut dire que son grand-père, Louis XV, l’a tenu éloigné de l’exercice du pouvoir. Cela va amener le nouveau roi à prendre des décisions parfois contradictoires. Ainsi, il va rétablir dans leurs droits les parlements, adversaires déclarés de la Couronne et surtout soucieux de leurs privilèges, tout en nommant Turgot contrôleur général des finances (équivalent du ministre des finances).

Ce-dernier, qui a exercé comme intendant du Limousin, souhaite mener de grandes réformes dans les domaines financier, économique et politique. Il va notamment imposer de grandes économies dans les dépenses de l’Etat et préparer une importante réforme de l’impôt. L’objectif est alors double : simplifier le système fiscal tout en étendant l’impôt à toutes les catégories de la population (y compris les privilégiés qui en étaient exemptés). Dans le cadre de ces grandes réformes, d’autres mesures vont être prises tel que la suppression de la corvée royale* mais également des jurandes** et corporations.

Cette politique ambitieuse mécontente les parlements et la Cour du roi dont les membres ont peur pour leurs privilèges. Si dans un premier temps, Louis XVI soutien son ministre, les lettres et critiques répétées vont finir par inquiéter le roi qui déclarera alors « M. Turgot veut être moi, et je ne veux pas qu’il soit moi ». Finalement, un autre élément va s’avérer décisif dans la chute du ministre : la météo.

* C’est une prestation en nature, qui consiste dans l’obligation de travailler gratuitement à la construction et à l’entretien des routes et des chemins. (Larousse)

** Corps de métier constitué par le serment mutuel que se prêtaient, chaque année dans la plupart des cas, les maîtres. (Wikipédia)

Une agriculture très traditionnelle

Alors que Turgot tente de mener ses réformes malgré l’opposition des privilégiés et les réticences du roi, le monde rural, reste figé dans son fonctionnement. En effet, malgré les efforts du gouvernement pour encourager les défrichements, développer la culture de la pomme de terre et introduire de nouvelles races animales (notamment les moutons mérinos d’Espagne), les paysans restent attachés aux anciennes méthodes et usages. Ainsi, la méthode de la jachère et la culture du blé et de l’avoine sont toujours prédominants au détriment de nouvelles cultures telles que le seigle où l’orge. De plus, les prairies naturelles coutent cher et les droits d’usage dans les forêts sont de plus en plus réduits par les seigneurs ce qui bride le développement de l’élevage malgré l’amélioration des espèces. Enfin, l’outillage des paysans est très rudimentaire, la moisson se faisant encore à souvent à la faucille (et non à la faux) alors que le battage s’effectue au fléau. La charrue à roues quant à elle, n’est répandue que dans les campagnes au nord de la Loire.

Au-delà de ces aspects « techniques », le monde rural est également victime d’intérêts divergents entre paysans. Ces derniers constituent 80% de la population mais sont séparés en deux catégories. La première, constituée des grands fermiers-laboureurs, possèdent les grands terrains agricoles qui lui permet même de prélever des droits féodaux pour le compte de la noblesse et la dîme pour le compte du clergé. Ces fermiers sont sensibles et favorables aux nouvelles méthodes et cultures contrairement aux « petits paysans » qui parviennent à vivre tant bien que mal de leur production malgré le poids écrasant des impôts (taille, gabelle, capitation, vingtièmes, dîme, …) et craignent de trop brusques évolutions. Pour ne rien arranger, la surpopulation des campagnes lors de la seconde moitié du XVIIIème siècle va encore aggraver les difficultés des paysans français et renforcer leur mécontentement.

Toutes ces raisons vont rendre difficile la constitution de stocks alors que le prix des grains dépend fortement des résultats des récoltes. Ainsi, tout au long du XVIIIème siècle, les prix vont connaitre de forte variation, globalement à la hausse.

La guerre des farines

Durant les années 1774 et 1775, de mauvaises conditions climatiques entrainent des récoltes décevantes et en avril-mai 1775, les réserves de céréales sont déjà épuisées alors que la récolte suivante n’est pas encore arrivée. Avant les réformes de Turgot, la situation aurait pu rester sous contrôle. En effet, chaque région gérait ses propres stocks de céréales et les provinces en difficulté auraient pu demander une intervention royale qui leur aurait été accordé. Néanmoins, la politique de Turgot a permis la libre circulation des grains qui pouvaient désormais circuler librement sur tout le territoire. Cette libéralisation combinée aux mauvaises récoltes va alors entrainer une hausse importante des prix mais également des pénuries.

Le grain (et donc indirectement le pain) étant la base de l’alimentation de nombreux français, la situation ne va pas tarder à se tendre dans de nombreuses villes, notamment sur les marchés. Pour ne rien arranger, des rumeurs apparaissent alors contre ceux qui profiteraient de la situation. Comme en 1764, un « pacte de famine » est évoqué et les grands propriétaires sont accusés de stocker les grains afin de spéculer sur la hausse des prix. Des émeutes vont alors éclater à Reims, alors qu’à Dijon, des convois sont pillés et des fermes attaquées. Les troubles vont rapidement se propager et le mouvement sera particulièrement violent dans les grandes régions agricoles comme la Picardie, la Beauce ou la Bourgogne. Dans ces provinces, les exploitants des grands domaines appartenant à la noblesse sont régulièrement visés mais également les dépôts, entrepôts, boulangeries et des barges de transport.

La situation étant devenu hors de contrôle, le gouvernement va mobiliser près de 25 000 soldats pour rétablir l’ordre et plusieurs centaines de personnes sont arrêtés. Néanmoins, dans un souci d’apaisement, seul deux émeutiers sont condamnés à mort pour l’exemple. En parallèle, Turgot est obligé de rétablir un contrôle du prix des grains et c’est l’Etat qui va se charger de l’approvisionnement en céréales des provinces.

Conclusion

Si le calme est rétabli, cet épisode va marquer le début de la fin pour Turgot qui devra démissionner le 12 mai 1776 et se retirera au château de La Roche-Guyon. Dans l’une de ses dernières lettres au roi, il écrira alors cette phrase qui s’avèrera prophétique : « N’oubliez jamais, Sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur le billot ». Il consacrera finalement le reste de sa vie à des études scientifiques et littéraires et s’éteindra le 18 mars 1781 à Paris. Voilà, pour ces émeutes qui précèdent de quelques années le début de la Révolution. A noter que selon l’historien George Rudé, des membres de la noblesse auraient volontairement excité la population contre Turgot pour provoquer sa disgrâce et quand on voit la chute du ministre, ce scénario semble crédible. Néanmoins, il ne s’agît que d’une théorie qui n’est pas partagée par tous les historiens.

C’est tout pour aujourd’hui, si l’article vous a plu, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux et à me dire ce que vous pensez de cette théorie du complot contre Turgot ! En attendant, je vous dis à bientôt 😉